Je me rends à l'ambassade de Roumanie
Non pas que j'y dépose les armes
Mais j'y vais à pied quoi,
Passant dessous le pont de Bir-Hakeim
Où une jolie japonaise en bottes de caoutchouc noir
Photographie un mariage coréen.
Je vais assister à une célébration du centenaire de la naissance
De Cioran.
Je lui apporte mon désespoir et mon humour
Comme cadeau d'anniversaire.
Je me souviens qu'en 1993 j'avais eu une conversation
Avec mon ami Jean-Luc qui m'avait agacé
La conversation et lui
A propos de Cioran.
Il avait l'air de jeter sa lecture par-dessus son épaule
Comme on trinque à la russe.
"Tu comprends, soutenait Jean-Luc,
C'est un type qui écrit pour les adolescents !
- Moi d'abord, lui avais-je répondu, je n'aime que les types qui écrivent pour des adolescents !"
Et c'était vrai d'ailleurs : Salinger, Fitzgerald...
(Bon, ok, ok, je n'aimais pas beaucoup de monde)
Et puis Jean-Luc m'avait raconté une histoire,
Il avait connu une fille,
Une superbe fille,
Dont Cioran se serait amouraché dans les dernières années de sa vie,
Et la fille lui en faisait voir des vertes et des pas mûres,
Comme ce qu'est parfois la philosophie,
Elle partait en vacances par exemple au ski ou sur la Côte d'Azur,
Et elle ne lui écrivait aucune lettre,
Même pas le moindre aphorisme qui est un style d'écriture vraiment bien pour les cartes postales,
Nada !
En revanche, elle lui laissait son chat à garder !
Et lui, Cioran, de dépit, il martyrisait le pauvre chat.
Le récit de Jean-Luc ne dit pas comment.
Peut-être en lui montrant des photos de Schopenhauer,
Ce genre de matous-là !